Cet article de Catherine Rémy paru en 2003 se penche sur l’évolution du statut de l’animal au sein d’un lieu dédié à sa mise à mort,l’abattoir. L’intérêt de se travail est qu’il est construit autour de deux types de données : des données historiques, notamment récoltées au cours d’une étude sur les archives municipales de l’abattoir de Clermont-Ferrand, mais aussi des données ethnographiques, issues d’un travail de terrain dans un abattoir.
On peut notamment y lire des séquences nous plongeant au cœur la définition/perception de l’animal au sein de l’abattoir par les salariés eux-mêmes (tueurs, agents sanitaires). On constate dans l’exemple de cet abattoir que deux types de règles sont mal appliqués : les règles d’hygiène et les règles humanitaires :
« Il est 10 h, j’observe l’abattage de veaux. Je suis devant le piège, je peux voir l’arrivée des animaux par le couloir d’amenée, l’insensibilisation, l’élévation sur le rail et la saignée. C’est Roland qui perfore et Patrice qui égorge (le tandem fréquent). Le premier veau est dans le piège, il remue et sent les parois autour de lui. Roland pousse des cris à l’encontre de l’animal « allez, oh ! » II arme le pistolet, monte rapidement sur la marche et d’un geste vif perfore le crâne de l’animal qui s’effondre instantanément. Cette fois, la perforation a été bien faite car l’animal est vraiment assommé. La paroi latérale du piège bascule et Patrice attrape le veau par une patte et l’accroche au rail d’élévation. L’animal glisse d’un mètre environ sur le rail, pendant que Patrice aiguise son couteau et Roland s’occupe de faire rentrer le prochain animal [. . .] Patrice attrape l’oreille gauche de l’animal avec la main gauche et de la main droite opère la saignée, le geste est rapide, le corps légèrement penché vers l’avant mais rigide, il va regarder l’animal pendant l’opération (3 secondes). Dès que le « trait » (terme employé par Patrice) est effectué, il relâche, d’un geste très rapide, la tête de l’animal (toujours selon Patrice, pour éviter d’avoir du sang sur les mains), le sang jaillit à gros flots […] Au bout d’un certain temps, c’est Roland qui prend en charge les deux gestes, la perforation et la saignée. Jacques arrive pour aider Roland, il ne fera bien sûr (car il est un non-tueur) qu’accrocher les animaux [. . .] Roland vient d’assommer un veau, Jacques fait basader la paroi du piège, mais l’animal, alors qu’il essaie de le saisir, commence à se débattre. Jacques lui donne un coup de pied, Roland arrive à la rescousse. MONTEE EN TENSION. Il crie contre l’animal et à son tour lui assène un coup [. . .] Jacques arrive à saisir la patte de l’animal et dès que ce dernier commence à s’élever, fait un petit bond en arrière (pour éviter de recevoir un coup de patte) […] Patrice, qui n’est pas loin, me regarde et dit: «II bouge, c’est les nerfs… » E’ abattage continue, Roland va chercher les veaux restants, il a pris un long bâton et un aiguillon électrique. Je m’avance vers l’entrée du piège pour pouvoir suivre son action. Il crie pour faire avancer les animaux dans le couloir d’amenée. Patrice nous rejoint. Ees veaux sont enfile indienne, il y en a deux qui ont l’air particulièrement affolés et qui essaient de faire demi-tour (les animaux se suivent de très près dans un couloir étroit, ils ont tendance à se coller les uns les autres, ce qui peut provoquer et provoque souvent des blocages, les animaux s’empêchent alors mutuellement d’avancer et s’affolent). Il y en a un qui arrive à s’échapper et qui retourne illico à l’étable. Patrice l’a tout de suite remarqué et se met à crier tout en avançant vers l’étable : « Ah c’est un malin c’lui-là ! Il s’est échappé… Tu vas voir ! » II prend un bâton et va chercher le «fugitif » dans l’étable, il le ramène à l’aide de quelques coups et surtout de cris. Roland fait rentrer le premier veau de la file et l’abattage reprend son cours ponctué d’incidents… »
P.70-71
Référence :
Rémy Catherine. Une mise à mort industrielle « humaine » ? L’abattoir ou l’impossible objectivation des animaux. In: Politix. Vol.16, N°64. Quatrième trimestre 2003. pp. 51-73 : 10.3406/polix.2003.1309http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2003_num_16_64_1309
Be the first to comment on "[Article] Une mise à mort industrielle « humaine » ? L’abattoir ou l’impossible objectivation des animaux"