Nous citons de nouveau un article de Catherine Rémy paru en 2004 dans la revue Espaces et Sociétés (n°118).
Cette analyse ethnographique nous permet de comprendre le développement et la naissance des premiers abattoirs au XIXe siècle mais aussi d’appréhender l’évolution de la mécanisation des techniques d’abattage et les règles humanitaires…puis le lent glissement vers la question du « bien-être » animal.
Le passage que nous citons ci-dessous revient notamment sur le développement et les préconisations en faveur de l’étourdissement de tous les animaux au cours du XXe siècle :
« Le nœud de la discussion sur les techniques d’abattage se situe au moment de la mise à mort : l’animal doit-il être conscient lorsqu’on le saigne ou bien étourdi, insensible ?
Si, pour des raisons de sécurité humaine, on a toujours assommé les bovins, il n’en va pas de même pour les autres animaux. Cette question va devenir centrale, dans la deuxième moitié du xxe siècle, lorsqu’on va commencer à parler d’abattage humanitaire. Ce dernier vise à tuer les animaux de boucherie en leur évitant au maximum de souffrir : « Humaniser l’abattage, c’est avant tout procéder à un étourdissement instantané et indolore » (Avril, 1967, p. 47). Il s’agit de minimiser le stress de l’animal au cours des différentes étapes.
Le motif est à la fois utilitaire (un animal non stressé produira une viande meilleure) et humanitaire, c’est donc pour l’homme et pour l’animal que l’on introduit ces précautions. En avril 1964 est imposé un étourdissement avant la saignée pour tous les animaux de boucherie et de charcuterie ; l’extension aux volailles et aux lapins sera appliquée en septembre 1970. Le pistolet d’abattage va désormais être employé pour l’assommage des gros bovins, des chevaux et des veaux, l’anesthésie électrique est la plus retenue pour les ovins, les caprins et les porcs.
Selon la législation désormais « humanitaire », tout animal doit obligatoirement être immobilisé et insensibilisé au sol, puis suspendu avant la saignée. Tout mauvais traitement avant l’abattage est interdit et pénalisé.
Cette obligation d’insensibilisation a un corollaire pour les bovins et les chevaux : la construction du « piège». Les animaux, en empruntant le couloir d’amenée attenant à l’étable, vont directement se retrouver dans un petit périmètre clos par l’avant. Une fois l’animal entré, une cloison bascule et l’enferme. L’homme qui va « assommer » la bête se trouve à l’extérieur du piège, il monte sur une petite marche pour asséner le coup. Le « piège » fournit le modèle des dispositifs « rationnels » de contention des animaux (Vialles, 1987, p. 121). C’est un procédé uniformisant qui a pour « principal effet […] de supprimer ce que P. Gascar appelle “le bref combat de la mort” dans lequel l’homme se mesurait, avec quelque risque, à l’animal ».
Avec le piège, l’homme n’est quasiment plus menacé, même si ce moment est toujours synonyme de tension et suscite le rappel par les « tueurs » du danger potentiel de l’animal (le besoin d’évoquer le risque avait déjà été repéré par Vialles, 1987, p. 131 et suivantes)[…].
Au xxe siècle, la question de la souffrance animale a atteint un autre stade : on légifère pour l’animal et non plus uniquement pour des raisons utilitaires, même si ce dernier point est ambigu puisque souvent sont mis en rapport stress de l’animal et qualité de la viande. Ce système est éminemment paradoxal : abattage industriel et abattage dit « humanitaire » me semblent en effet renvoyer à deux cadrages différents de l’animal.«
Nous vous invitons à lire l’intégralité de cette analyse notamment la partie consacrée à la « Vie dans l’abattoir et au regard de l’ethnographe ».
Plan détaillé de cet article :
L’abattoir, un non-lieu ?
Construction de l’abattoir : cacher la mise à mort
La mécanisation des techniques d’abattage et les règles humanitaires
Vie dans l’abattoir et regard de l’ethnographe
La mise en espace de la mise à mort
Conclusion
> Source/Référence :
Rémy Catherine, « L’espace de la mise à mort de l’animal. Ethnographie d’un abattoir», Espaces et sociétés 3/2004 (no 118) , p. 223-249
URL : www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-2004-3-page-223.htm.
DOI : 10.3917/esp.118.0223.
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